Cet article a été publié le 28 août 2009 dans le Webzine de l’AP-HP. Propos recueillis par Sylvie Blua (AP-HP) :
Environ 6% des enfants d’une classe d’âge sont touchés par des troubles spécifiques des apprentissages. Le Centre de Référence des Troubles du Langage et des Apprentissages, né en 2003 à l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP), reçoit les enfants présentant des troubles sévères et spécifiques d’apprentissage provenant de quatre départements de l’ouest parisien 95, 92, 78 et 28. Le Dr Emilie Schlumberger, neuropédiatre et responsable du centre de référence, nous en explique le fonctionnement.
Comment savoir si son enfant a des troubles relevant d’une prise en charge médicale ?
Un simple retard de langage constaté à 3 ans se résout souvent rapidement et disparaît à six ans. Le suivi familial puis la rééducation par l’orthophoniste peut suffire. C’est au pédiatre, au médecin généraliste ou de PMI, au médecin scolaire et à l’orthophoniste, de faire le dépistage et d’effectuer la première intervention chez un enfant présentant un retard de langage.
Par contre, si l’enfant progresse peu à 4 ans, les parents, l’école et l’orthophoniste doivent se réunir : si une dysphasie (trouble du langage) est évoquée, la rééducation doit devenir intensive et spécialisée. En effet, la dysphasie est une altération du développement des fonctions langagières entraînant l’échec de l’acquisition normale du langage expressif et/ou réceptif. Elle ne résulte par définition ni d’une déficience intellectuelle, ni d’un déficit auditif, ni d’une malformation des organes phonateurs, ni d’une hypostimulation ou d’un désordre affectif grave. Elle s’accompagne presque toujours de troubles associés : difficultés d’organisation dans le temps et l’espace ou déficit attentionnel, troubles graphiques, troubles du comportement, etc… En cas d’échec persistant, autour de 5 ans ou même avant, le centre référent doit intervenir.
Quant aux troubles spécifiques d’apprentissages, on suppose qu’ils ont leur origine dans le développement de l’enfant, indépendamment de l’environnement socioculturel, et sans qu’il y ait ni déficience avérée (sensorielle, motrice ou mentale), ni trouble psychique. Il peut s’agir de dyslexie (trouble de la lecture), dyspraxie (trouble du repérage dans l’espace et des gestes complexes comme l’écriture), trouble d’acquisition de la coordination, déficit attentionnel, syndromes dysexécutifs, ces différents troubles pouvant être associés.
Quel est le rôle du centre référent auprès de ces enfants ?
Les enfants souffrant de ces pathologies, dans leur forme sévère, sont en situation de handicap. Ils représentent une population aussi nombreuse que ceux qui souffrent de tous les autres handicaps réunis. Partant de ce constat, un plan d’action gouvernemental a été défini en mars 2001, donnant naissance à 40 centres de référence en France dont 7 en Île-de-France. Celui de Raymond-Poincaré (AP-HP) a vu le jour en 2003.
Le centre de référence prend en charge uniquement les enfants présentant des troubles spécifiques, sévères et persistants, les troubles les plus légers étant suivis par d’autres réseaux. En amont, le Centre sensibilise, et parfois forme des professionnels pour que les enfants atteints de troubles sévères soient repérés tôt, et traités efficacement et dans leur globalité, en coordination étroite avec l’école, et ce, sans attendre l’échec scolaire. La plupart des patients ne sont vus qu’en consultation médicale. Mais nous organisons aussi à Raymond-Poincaré (AP-HP) des bilans multidisciplinaires pour certains enfants ayant un trouble sévère, pour établir les diagnostics différentiels délicats ou orienter les rééducations qui sont faites en externe. Pour les enfants géographiquement proches et les plus sévèrement atteints, il existe dans le centre de référence une unité de rééducation : elle permet d’allier la scolarité en effectif réduit à une rééducation intensive en hôpital de jour.
Il est donc primordial de permettre une consultation sans retard aux enfants sévèrement atteints, ce qui – du fait de l’effectif médical limité – oblige à une sélection stricte des demandes de consultation sur dossier. Cette sélection repose sur le travail conjoint de l’infirmière coordinatrice de la consultation, et du neuropédiatre responsable du centre référent.
Comment s’organise la prise en charge au plan médical ?
Le médecin neuropédiatre du centre référent coordonne l’équipe médicale et multidisciplinaire pour poser le diagnostic de trouble spécifique et sévère d’apprentissage. Il oriente la rééducation et la scolarisation par son compte-rendu écrit, ses contacts avec le rééducateur libéral, ses informations à la famille et au patient. Il aide à la rationalisation pour les indications et interprétations des explorations complémentaires (EEG, IRM cérébrale, bilans sanguins, etc.) chez l’enfant et dans la famille. Il oriente et rationalise les prescriptions pharmacologiques (notamment stimulants de l’attention). Il participe au développement d’une collaboration autour du coût de ces pathologies et du remboursement par la sécurité sociale des traitements. Enfin, il développe un travail de coopération avec la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) de chaque département pour connaître l’épidémiologie, évaluer les besoins de classes spécialisées et adapter la scolarité de ces enfants.
Le centre référent collabore avec les médecins de l’unité de neuropédiatrie ou de médecine physique et de rééducation pour le diagnostic du trouble d’apprentissage chez un enfant présentant une autre pathologie (épilepsie, lésion cérébrale). Il s’appuie bien sûr au sein de l’hôpital sur le service d’imagerie médicale, et dans certains cas utilise l’outil neurophysiologique, les laboratoires de biologie, etc.
Outre la prise en charge des enfants, le centre référent développe une activité de recherche en relation avec l’école de linguistique et les éditions de tests. Des projets de collaboration avec les rééducateurs libéraux et les structures organisant les prises en charges de ces patients sont aussi lancés.
Comment se passe la scolarisation des enfants présentant ces handicaps ?
La scolarisation d’un enfant présentant un trouble spécifique et sévère se fera le plus souvent dans l’école de quartier la plus proche (loi de février 2005 sur la scolarisation des enfants handicapés), ce qui requiert le travail de formation des enseignants et du reste de l’équipe éducative. Un enseignant spécialisé dépendant de l’EREA Jacques Brel participe depuis cette année au travail de restitution du bilan multidisciplinaire auprès de l’école de l’enfant. Pour les examens, des aménagements pédagogiques sont possibles. En effet, nombreux sont les élèves et étudiants motivés qui peuvent réussir leurs études si, de façon particulière et différente pour chacun d’entre eux, en fonction du trouble qu’ils présentent, des adaptations sont mises en place : temps supplémentaire, évaluation à l’oral plutôt qu’à l’écrit, usage d’un ordinateur avec si besoin un logiciel de dictée vocale et un correcteur adapté, dispense de l’anglais (pour les dyslexiques sévères), présence d’un interprète (pour les dysphasiques sévères), photocopies des cours etc.